mardi 10 octobre 2017

(Dés)intérêts politiques, syndicalisme et luttes sociales

Le rapport de la politique avec les milieux populaires n’a jamais été simple. Ces milieux ont de la sorte longtemps souffert d’une grande illégitimité politique. Le suffrage censitaire trouvait sa justification dans une philosophie qui voulait que seuls les possédants aient les « capacités » (entendues à la fois comme techniques et surtout morales) de veiller aux destinées de la nation. Les débats sur l’élargissement du cens, puis sur la mise en place du suffrage universel, ont fait la part belle aux arguments sur « l’instabilité des foules », la « versatilité populaire », ou sur les « émotions populaires », censées nuire à la bonne conduite des affaires publiques. L’idée de Condorcet (Réflexions sur le commerce des blés, 1776) que « l’opinion populaire reste celle de la partie la plus stupide et la plus misérable » a donc longtemps imprégné nombre d’élites sociales, y compris d’ailleurs celles qui avaient été les instigatrices de l’extension du droit de suffrage. La conquête d’une légitimité politique des classes populaires est ainsi inséparable du travail de mobilisation mené par des organisations qui ont fait exister politiquement un groupe - la classe ouvrière - dont elles se réclamaient les représentantes. En effet, une classe sociale n’existe pas en dehors du travail de représentation. C’est-à-dire qu’elle n’existe pas en dehors du travail inséparablement politique et symbolique qui lui donne corps en lui donnant une voix. Partant de la vie la plus ordinaire des milieux populaires, dans les immeubles, dans les quartiers, dans les usines, ces organisations politiques assuraient une transmutation de faits sociaux (liés à l’expérience quotidienne) en faits politiques. Ils retraduisaient en forme du discours politique légitime des préoccupations simples des milieux populaires. Ce travail était favorisé tant par la proximité sociale et spatiale des militants de ces organisations avec les milieux populaires que par le fait qu’elles aient promu en leur sein des cadres qui en étaient issus. Elles pouvaient de la sorte revendiquer sans trop de peine une unité repré- sentants/représentés qui leur assura un succès durable, notamment dans nombre de bastions industriels, et leur permit d’accéder à certains pôles de pouvoir, locaux (municipalités) ou nationaux (parlement). Ce n’est qu’au prix de ce travail que les classes laborieuses cessèrent d’être perçues seulement comme des classes dangereuses.